L’histoire de la villa Cavrois est un vrai conte de fées. Elle naît en 1932 sous de bons auspices : un commanditaire riche, soucieux d’asseoir sa réputation d’homme avisé et éclairé : M. Cavrois, et sa nombreuse famille, une femme, neuf enfants et une nombreuse domesticité ; un architecte d’avant-garde, prisé de la haute société, Robert Mallet-Stevens.
Cavrois veut du moderne ? Il en aura.
Il veut épater la bourgeoisie locale ? Mallet-Stevens va lui en jeter plein la vue.
2800m² de plancher, 60 mètres de façade, équipements techniques dernier-cri, toits terrasses, matériaux industriels, verre, métal, acier, volumes cubiques, piscine….
Un vrai château en somme par la taille, mais aussi par la distribution, très classique, par la composition du jardin à la versaillaise, par l’emmarchement, monumental.
Cavrois fait des jaloux, on se gausse, on parle de « péril jaune » du côté de Roubaix. Péril jaune ? C’est la couleur du parement de briques. Il faut dire qu’on ne voit qu’elles, recouvrant uniformément toutes les façades de la villa, dans un alignement impeccable, hallucinant de perfection, presque maniaque.
Mais comme dans tout bon conte de fées, voici le temps des méchantes sorcières. Première attaque en 1940 : les Allemands l’occupent, la dégradent, puis les FFI qui la réquisitionnent continuent le pillage. Les Cavrois s’y réinstallent pourtant, la restaurent, apportent des modifications. En 1986 Mme Cavrois y meurt. Et là, un vilain promoteur immobilier l’achète. Veut la raser. Luttes, pétitions, interdictions, menaces. Le promoteur s’énerve, organise un vandalisme général. La villa n’est plus que le fantôme d’elle-même.
Enfin l’Etat entend les cris d’alarme et achète les ruines en l’an 2000, en profitant au passage pour créer le Label Patrimoine du XX° siècle. Il faudra 13 années pour la restaurer à l’identique. Les architectes et artisans de tous les corps de métiers vont se livrer à un travail de détective, étudiant les lieux et les restes comme on ausculte une scène de crime, retrouvant le savoir-faire de leurs collègues des années 30, et l’esprit de l’UAM, l’Union des Artistes Modernes, fondée par Mallet-Stevens en 1929 pour œuvrer à la synthèse des arts et de l’artisanat.
Aujourd’hui, ouvert au public depuis trois ans, le Péril jaune a sa revanche : les visiteurs se pressent par milliers pour admirer le chef-d’œuvre moderniste dans toute sa froide splendeur.
En achetant le marque-page à la boutique, car boutique il y a, je pensais qu’il reprenait la dimension d’une de ces fameuses briques jaunes. Après vérification, hélas, non. Mais le papier découpé est comme une évocation de l’état de la villa avant sa renaissance : une villa zombie.
Danielle Laouénan, visite de septembre 2015.
1- Presque la même histoire de bout en bout que pour les deux autres villas modernes : la E-1027 d’Eileen Gray à Roquebrune-Cap-Martin, et la villa Noailles à Hyères, de Mallet-Stevens également.
2 -Cette figure du fantôme présente dans le film de Man Ray en 1929 : Les mystères du Château de Dés sur la villa Noailles. Film auquel répond Marianne Visier en 1987 dans Les fantômes de nos actions passées, montrant cette même villa à l’abandon.