Place – Peuple, espace, pouvoir

Revue Place

La revue Place paraît de 1975 à 1977. Sept numéros en tout, d’une quarantaine de pages chacun, Illustrations en noir et blanc, photographies ou dessins, seules les pages de couverture sont en couleur, monochrome ou bichrome. Une revue sans grands moyens, autofinancée avec un tirage annoncé de 3000 exemplaires, sur abonnement, en dépôt en librairie ou en vente militante.

L’anonymat est de règle, seul le nom du directeur de publication est affiché, Serge Vacrou d’abord puis François Lautier[1] dès le n° 2. Ce dernier est sociologue, enseignant depuis 1967 dans la section Architecture de l’école des Beaux-Arts, puis à UP6 (école d’architecture de La Villette aujourd’hui), école étiquetée alors « gauchiste ».

Nous sommes dans l’après-68[2], sous la présidence de Giscard d’Estaing.

Le titre complet de la revue sonne comme un slogan : Place : peuple – espace – pouvoir. Elle se veut l’écho des luttes « contre la domination de l’espace du capitalisme, contre la production bourgeoise de l’espace ». Rendre au peuple la maîtrise de l’espace qu’il habite.

Les rédacteurs se désignent comme des « travailleurs intellectuels de la production de l’espace » : architectes, sociologues, enseignants ou praticiens, encartés au PCF ou au PS, syndicalistes… Dans les colonnes de la revue la parole est laissée (ou plutôt transcrite) à des employés des services d’urbanisme des mairies, des bureaux d’études, des services du Ministère de l’Equipement…

Au fil des pages on découvre les méfaits du capitalisme, les effets de l’intrusion brutale des forces de l’argent et de la spéculation sur les conditions de vie du « peuple ». Ainsi sont racontés, par les acteurs eux-mêmes, tous les combats en cours, en France comme à l’étranger :  contre les expulsions brutales des habitants des quartiers en rénovation (le Marais à Paris, Alma-Gare à Roubaix, mais aussi à Milan, Montréal ou Vienne), contre les réquisitions des terres agricoles (au Larzac ou dans la région de Sisteron où l’état veut construire un aéroport), contre les destructions d’habitations autoconstruites (le village de cabanes du Bourdigou dans les Pyrénées Orientales, le quartier de Perama à Athènes), contre l’exploitation des travailleurs immigrés sur les chantiers et les accidents dramatiques qu’elle provoque, contre l’indignité de l’hébergement de ces mêmes travailleurs, en grève des loyers dans les foyers Sonacotra. Les conditions de travail dans les usines et les tours de bureaux sont dénoncées dans plusieurs articles, la rénovation des grands ensembles HLM lancée par l’état dans le cadre des PAN, aussi – et déjà – décriée.

Pour Nantes, où s’est créé un Comité local de la revue, sont relatées la lutte pour la reconquête des bords de l’Erdre, privatisés par de grands propriétaires et l’histoire de la création du lotissement du Cèdre à La Chapelle-sur-Edre par un groupe d’habitants en autopromotion avec l’aide d’étudiants de l’école d’architecture.

Un autre volet important : celui de la place des salariés dans les agences d’architecture, encore soumis au « patron » et à une hiérarchisation impitoyable des fonctions, à la parcellisation des tâches : dessinateurs, gratteurs, diplômés PROMOCA[3], mal traités, rejetés, méprisés par les « vrais » architectes certifiés conformes. Là encore une histoire de place à se bâtir par l’engagement militant. Jusqu’à supprimer le titre et la fonction traditionnelle de l’architecte, car la production de l’espace est l’affaire de tous, l’affaire, encore une fois, du peuple et « ce n’est qu’en liaison avec lui, sous sa direction et son contrôle que peut être construit un monde nouveau, donc un espace nouveau ».

Cette revue activiste et progressiste, qui a tenté de rassembler, ou tout au moins de laisser s’exprimer, les différents courants idéologiques de gauche, qui a essayé de rompre les frontières de classes, qui a voulu lutter avec le peuple, et non pour ou à la place du peuple, cette revue d’utopie en actes oeuvrant à changer la société, conclut son 7° et dernier édito par cette phrase : « Nous espérons pouvoir donner plus d’éléments concrets dans le prochain numéro ».

[1]Sur le parcours de F. Lautier : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2010-2-page-33.htm

[2]Sur cette période : J.-L. Violeau, Les architectes et mai 68, et Les architectes et mai 81, Ed. Recherches, 2005 et 2011

[3]Devenu aujourd’hui Formation continue professionalisante (FCP)

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